Il Segreto Delle Muse

“ Jouant sur l’harmonieuse complémentarité des voix, le duo Begli Occhi voile ainsi d’ombres et d’inquiétudes l’évocation solaire des regards que lance le bien aimé. Enfin, l’ornementation fluide au rubato savoureux de La Riamata, la finesse poétique de Costume de Grandi, les basses inquiétantes et les silences évocateurs de Che si Puo Fare inscrivent cette anthologie parmi les mieux inspirées consacrées à la compositrice”.

Denis Morrier, Diapason, n°734 Juin 2024

Formé en 2020, l’ensemble est le fruit de la collaboration entre la soprano Florence Susant, la mezzo-soprano Marie-Laure Coenjaerts et le théorbiste, luthiste et guitariste Jasper Bärtling-Lippina. C’est autour d’une passion commune pour l’œuvre de la musicienne Barbara Strozzi que se sont réunis les musiciens de l’ensemble. S’ils tiennent leur rencontre des couloirs de conservatoires, c’est surtout autour de la compositrice et du chef Gabriel Garrido (musicien et chef d’orchestre spécialisé dans le répertoire baroque italien et le patrimoine musical baroque d’Amérique du Sud), que la passion a opéré. Transportés par la musique italienne du 17ème siècle, ils ont décidé de mettre à l’honneur la compositrice au destin extraordinaire. Dans le cadre de son projet, l’ensemble souhaite associer son travail de recherche sur la compositrice, aux enseignements, à la musicalité et à l’instrumentation du chef argentin.

Barbara Strozzi

Barbara Strozzi est une figure marquante de l'histoire de la musique.  Née à Venise en 1619, elle est adoptée par Giulio Strozzi (célèbre poète de l’époque), qui est très probablement son véritable père.

Venise est à cette époque une ville de paix et de richesse dans laquelle les innovations culturelles et musicales sont florissantes. Dans ce qu'on appelle les "accademie", les intellectuels se réunissent pour discuter, débattre, innover, déclamer des poèmes, jouer de la musique et échanger des idées. Giulio Strozzi, qui n'était pas seulement un poète mais portait aussi le nom d'une puissante famille florentine, a été le fondateur et le membre de nombreuses "accademie" de ce type, profitant directement à la jeune Barabra.

L'une des sociétés les plus influentes dont Giulio Strozzi faisait partie était l'"Accademia degli Incogniti" fondée par Giovanni Francesco Loredano, où Barbara se produisait dès l'âge de 16 ans. Cette Accademie fut très active dans la promotion du « théâtre musical à Venise », probablement les premiers opéras au monde, et écrivait notamment pour le non moins célèbre Claudio Monteverdi. Cette Accademie possédait également son propre théâtre, le Théâtre Novissimo.

On peut observer que la jeune Barbara évoluait dans un environnement plus que propice à l’enseignement de la musique. Elle bénéficiera d’ailleurs, dès ses premières années d’apprentissage des enseignements de Francesco Cavalli.

Ensuite, en 1637, son père crée l'"Accademia degli Unisoni", probablement pour promouvoir les représentations et les œuvres de sa fille, qui étaient bien accueillies. Le fait qu'une femme fasse partie d'une "Accademia" suscite un certain intérêt dans la société vénitienne et les réunions deviennent si célèbres que des satires entières sont écrites à leur sujet.

Bien qu'elle n'ait pas été la première femme compositrice, sa biographie est néanmoins exceptionnelle pour une femme et une compositrice de son époque.  En effet, dans cette société du XVIIème siècle où les femmes ne pouvaient ni travailler, ni apprendre la musique, Barbara Strozzi n’en était pas moins une femme libre, intelligente et cultivée qui a publié plus d’œuvres que ses contemporains masculins. Autre fait marquant, et inspirant : elle a vécu de sa musique, pouvant ainsi mener une vie indépendante. Mère de quatre enfants, elle n’a jamais été mariée.C’est ce personnage marquant qu’Il Segreto delle Muse souhaite faire découvrir au public. Tant elle a marqué son époque par sa modernité, que ce soit au travers de sa musique ou de ses choix de vie. 

La musique

Il ne fait aucun doute que le fait d'être entourée de créateurs d'opéras a eu un impact sur le style des compositions de Barbara Strozzi. Bien qu'elle ne soit jamais vue commander d'opéra en raison des circonstances de l’époque, toute la musique de Barbara Strozzi est remplie d'éléments dramatiques et de l'expression de la poésie sur laquelle la musique est écrite. Outre les coloratures et les ornementations virtuoses, Strozzi utilise les dissonances les plus dures et joue avec les changements de tempo et de mesure pour exprimer les tournants dramatiques de la poésie.  La maîtrise de ces outils rend ses pièces incroyablement variées, presque comme des versions miniatures des opéras de son professeur Cavalli, où de courts récitatifs et arias sont assemblés de manière presque fragmentaire en une grande œuvre scénique. Dans le but d'atteindre un public au-delà des frontières de la ville de Venise, Barbara Strozzi a publié ses œuvres avec une grande précision, en laissant de nombreuses notes et indices d'exécution, car elle avait probablement à l'esprit que le lecteur n'aurait pas assisté à l'exécution originale desdites œuvres. De cette façon, sa musique est une source inépuisable des nombreuses possibilités d'expression de la musique à l'époque à Venise et en Italie.

Gabriel Garrido

Gabriel Garrido (né à Buenos Aires le 15 novembre 1950) est un musicien et chef d'orchestre argentin spécialisé dans le répertoire baroque italien et le patrimoine musical baroque d'Amérique du Sud. À l'âge de dix-sept ans, il est membre du quatuor de flûtes à bec Pro Arte, avec lequel il fait deux tournées en Europe.

Il étudie à l'Université nationale de La Plata, à Zurich et à la Schola Cantorum Basiliensis (la « Schola Cantorum de Bâle »), où il se spécialise dans le luth, la guitare baroque et des instruments à anche de la Renaissance. Il devient membre d'Hespèrion XX, dirigé par Jordi Savall, avec qui il participe à plusieurs enregistrements. Il a aussi entretenu une longue collaboration avec l'ensemble vocal et instrumentalStudio di Musica Antica Antonio il Verso de Palerme.

Depuis 1977, il enseigne au Centre de Musique ancienne du Conservatoire de musique de Genève, où il fonde l'Ensemble Elyma en 1981. Après une exploration de base du répertoire et quelques concerts, Garrido et son ensemble amorcent en 1992, pour le label français K6171, une série d'enregistrements consacrés à la musique baroque latino-américaine sous le titre Les Chemins du Baroque. Peu après, il reçoit une invitation du Conseil international de la musique (CIM) de l'UNESCO à donner des classes de maître, ateliers, conférences et concerts de musique baroque lors du colloque international latino-américain deSan Carlos de Bariloche, ville argentine située dans les contreforts de la Cordillère des Andes, ce qui lui vaut la Médaille Mozart de l'UNESCO.

Il est connu également pour ses interprétations de la musique italienne, en particulier son cycle d'œuvres deClaudio Monteverdi: opéras, ballets,musique sacrée. Depuis 1990, il dirige au Teatro Massimo Vittorio Emanuele de Palerme, en Sicile une représentation annuelle d'opéra. Pour sa contribution et ses activités artistiques consacrées à la musique baroque italienne pendant les dix dernières années, la Fondation Cini de Venise lui décerne en 2000 un prix spécial de reconnaissance. Gabriel Garrido a aussi dirigé des opéras au Festival d'Ambronay, au Festival international d'opéra baroque de Beaune et au Festival de musique ancienne d'Innsbruck. Au Teatro Colón de Buenos Aires, il dirige des représentations de L'Orfeo de Monteverdi en juin 2001 et des Indes galantes de Jean-Philippe Rameau en octobre 2002. Au Festival Theater der Welt (en) à Essen et Mülheim, il dirige en première mondiale depuis sa création l'opéra Montezuma de Carl Heinrich Graun en 2010.